Gabon postcolonial et les aventures de la politique inclusive

À l’heure où le Gabon s’apprête à tourner une nouvelle page de son histoire politique avec l’élection présidentielle du 12 avril 2025, la notion de « politique inclusive » s’impose dans le discours des candidats comme un levier de renouvellement démocratique. Mais que recouvre réellement ce concept dans le contexte gabonais, entre héritages postcoloniaux, rhétoriques de campagne et réalités sociales ? Dans cette tribune pour Info241, le Dr Jean–Stanislas Wamba interroge la trajectoire de l’inclusivité politique, en explorant ses usages, ses symboles et ses paradoxes à travers l’histoire du pays, de Léon Mba à nos jours.

Evènement majeur post coup dit de la libération, l’élection présidentielle du 12 avril 2025 au Gabon s’approche, alors que s’accroissent des débats télévisés, des rencontres de proximité, meetings politiques et causeries citoyennes. Cette présidentielle et la campagne électorale qui l’accompagne ont ceci de particulier, qu’elles se révèlent pour les postulants et leurs états-majors l’occasion ou du moins l’opportunité de vulgariser ou populariser dans l’espace des subalternes, des masses populaires, des concepts qui leur paraissent souvent peu assimilables, voire indigestes à première vue.
S’appropriant des notions de « politique inclusive » ou des variantes grammaticales « inclure » « inclus », « inclusif », « inclusive », « inclusion », « inclusivité », nous voudrions ici mettre en lumière, dans le contexte politique gabonais actuel, la trajectoire d’un concept que des leaders politiques, au moyen d’élégantes métaphores exploitent avec bonheur. De Léon Mba à Omar Bongo, d’Ali Bongo à Olingui.
Sans pour autant sonder les profondeurs des sciences politiques, ni gager des considérations d’ordre grammatical et, éludant des aspects purement linguistiques, les concepts de « politique inclusive » valorise tout nettement la participation politique, sociale, économique et culturelle de l’ensemble des citoyens ; autrement dit, la participation directe du peuple en dehors de toute relation intermédiaire dans la conduite de la cité. La vision ou du moins un projet politique qui serait inclusif serait alors l’instrument qui permet d’inclure l’ensemble des citoyens dans les processus des décisions politiques. Les usages inclusifs dans une Nation en constitueraient alors le moyen par lequel s’élargit la participation politique du peuple, rendant ainsi audibles depuis le centre des voix périphériques et souvent marginalisées, et ce depuis l’ère coloniale.
1. Colonialisme et déni de politique inclusive
Plus globalement, on ne peut parler légitiment d’inclusion politique durant la période coloniale. La société coloniale régie par une gestion pyramidale avec ses commandants blancs et ses boys-domestiques nègres n’autorise guère la participation du colonisé à la gestion de la colonie. Un petit détour à travers les classiques de la littérature africaine en dit long. Les aventures du Vieux nègre et la médial nous renseignent sur cette cohabitation prohibée entre le commandant blanc et les auxiliaires de commandement nègres. Ville cruelle de Mongo Béti avec ses villes blanche et nègres, à travers la configuration socio- géographique, entre le centre riche, espace investi par le maître, le colonisateur et la périphérie dénuée et habitée par les subalternes. En fonction du statut colonial du nègre dominé et périphérisé, le discours sur l’inclusion politique du colonisé dans l’appareillage décisionnel du colonisateur ne s’instaure qu’au profit de ce dernier. Les figures récurrentes qui exemplifient cette césure et installe le processus d’exclusion politique se trouvent incarnées dans la posture du domestique illustré par exemple par Toundi, le boy du Commandant dans Une vie de boy de Mongo Beti, … conséquences : les luttes décoloniales !
L’autre illustration plus parlante est celle du Capitaine Charles Ntchoréré. En effet, dans l’Hexagone, rares sont des exemples où les soldats africains sont mis en l’honneur pour le sacrifice de leur vie offerte à la mère Patrie, la France Métropole. Ntchoréré, ce compatriote gabonais salué et honoré chaque année, à son rang et grades, dans la ville d’Airain, dans la Somme, une des régions françaises des plus dévastées par l’artillerie allemande, où il tomba sur le champ de bataille. Or, les massacres du camp Thiaroye de 1944 au Sénégal, commis sur les soldats africains démobilisés et réclamant leurs soldes semblent montrer que dans la sphère de l’armée coloniale et dans le contexte de la relation dominant-dominé, la rhétorique qui structure l’hypothèse de l’inclusion politique par le biais de l’institution militaire n’est que ruse, par le prolongement au sein des instances décisionnelles de l’armée coloniale de l’emprise paternaliste de l’Etat-major, où le soldat africain, de surcroit nègre est relégué en périphérie et considéré comme une simple chair à canon. Tant les récits sur ‘’les méthodes fortes’’ des Etats-majors expansionnistes coloniaux anglais, français, lusophones à l’endroit des soldats nègres ne cessent de fleurir et n’en finissent d’amender imaginations et questionnements réels et peut-être même d’inspirer des fictions littéraires des plus captivantes. Que s’est-il, au fond, passé à Thiaroye ? L’énigme demeure encore.
Du coup, les luttes anticoloniales, les querelles pour une véritable inclusion politique se nourrissent chez certains leaders locaux, et prenant souvent des connotations discursives beaucoup plus métaphoriques, à l’image du « Gabon d’abord » de Léon Mba ou de « Ni à gauche, ni à droite mais toujours de l’avant » d’Omar Bongo. Ces deux prédécesseurs Présidents Gabonais se servent ou s’inspirent des sagesses subliminales traditionnelles comme fil conducteur de leurs discours officiels pour inscrire des projets d’inclusion politique, sociale et économique dans les impensés de leurs concitoyens en privilégiant le Gabon d’abord avant toute autre considération.
2. Léon Mba et la métaphore inclusive de « Gabon d’abord »
Les leaders politiques Gabonais, ont au fil du temps, et au moyen des métaphores élégantes, simples mais efficaces, su habiller avec l’extrême habilité, des intuitions politique, leur vision de la Nation et surtout leur projet politique.
Le premier Président, Léon Mba dans sa pédagogie de « Gabon d’abord », loin d’acenser l’ancrage identitaire ou territorial, ou encore, loins de marquer la préférence nationale, postulait plutôt par la foi en un « Gabon d’abord », cette évidence qu’il n’y a point d’écart entre un Gabonais du Nord et celui du Sud, entre celui de l’Est et de l’Ouest. Le Gabon demeurant indivisible dans chacune de ses différentes composantes et formes de représentations géographiques, ethniques ou communautaires. Le « Gabon d’abord » serait alors une vision égalitaire et progressiste de la Nation, où tout Gabonais est considéré au même niveau dans son appréciation entant qu’humain, dans la redistribution du produit de sa terre, dans ses droits et ses devoirs. Il s’agit de l’inclusion de tous les citoyens à la vie de la Nation. Cette implication de tous Gabonais visait à réaliser l’égalité politique pour la gestion du bien commun, pour l’administration du bien collectif.
Gabon d’abord voudrait donc assurer l’épanouissement du Gabonais par la distribution démocratique de ses richesses. Léon Mba dénonçait ainsi le tribalisme, le régionalisme, le népotisme, le favoritisme, l’influence grandissante des relations de parenté, des relations pernicieuses claniques, ethniques, villageoises, tribales, régionales qui aspirent vers le bas le bon fonctionnement de l’administration publique. Il désapprouvait l’exécution du service public qui conduit le chef à favoriser injustement le parent ou la maîtresse au détriment d’autres subordonnés qui, souvent travaillent mieux. C’est l’origine de la crise de l’autorité et de l’insubordination dans les services publics.
Gabon d’abord en termes de politiques inclusives se voulait donc un Gabon qui appartient à toutes les Gabonaises et tous les Gabonais, une inclusivité qui veuille à ne créer des inégalités dans la satisfaction des besoins des citoyens, un Gabon qui inspire toujours le sens civique et la conscience citoyenne de chacun. Il s’agit donc de valoriser chaque Gabonais de tout rang social confondu, pour que l’esprit de droiture, l’esprit de régularité, ranime chaque citoyen dans la paix et l’unité nationale. Des gabonais vivant décemment sans créer des défavorisés, pour que le sens de l’intérêt général ne soit clivé, pour que la Nation Gabonaise ne soit ni à gauche ni à droite, en cultivant toujours l’élan de la félicité vers l’avant, pour imprimer sagement la marche vers cet avant dont rêvait Omar Bongo.
- Omar Bongo et le diptyque « Ni à gauche, ni à droite… ».
Avec un précepte fort simple, dans le contexte plus globale de la marche du monde, du « Ni à gauche, ni à droite mais toujours de l’avant », repris parfois avec légèreté, Omar Bongo s’était inspiré des principes de non-alignement élaborés à la Conférence de Bandoeng en 1955 par des pays dits du Tiers-monde. La vigilance qui caractérisait le président gabonais en cette époque était de se fier des influences des grandes idéologiques, en l’occurrence le clivage entre le capitalisme incarné par des hommes dits de droite, l’esprit conservateur et jaloux de leurs privilèges matériels et financiers d’une part, et le socialisme développé à partir des abus du capitalisme et prôné par ceux de gauche qui exhortent la redistribution de la richesse, d’autre part.
En revanche, dans le contexte gabonais, la singularité et la profondeur du slogan d’Omar Bongo « Ni à gauche, ni à droite mais toujours de l’avant » se décrypte, en ce que l’ancien Président, dans sa vision et son projet politique, il opte ni pour le capitalisme vorace, cupide, ni pour le socialisme autoritaire. Ni un pays de gauche, ni un pays de droite, mais une Nation qui aspire à assurer son développement politique, économique pour la promotion du progrès social de sa population. Il y a donc rejet des systèmes politiques clivants, qui divisent, excluent, relèguent dans les marges, marginalisent. Bongo visait alors l’inclusion de tous les citoyens, qu’il soit un Gabonais ordinaire ou non.
4. Nuançons… le « Ni à gauche, ni à droite mais toujours de l’avant »
Dans son discours d’ouverture au 2eme congrès extraordinaire du Parti Démocratique Gabonais, Omar Bongo voyait dans sa formation politique, son parti politique, le gage de la stabilité politique, sociale et économique du Gabon. Prônant la politique inclusive, Bongo mettait paradoxalement en garde ses concitoyens en ces termes : « C’est donc dire que hors du Parti Démocratique Gabonais, point de salut au Gabon ». Cette annonce de l’ancien Président du Gabon semble érafler un pan du Voile de Poppée, autrement dit, le déni de la réalité inclusive que le Président gabonais en était porteur. Déni, par ses prises de position et qui faisaient du parti unique la seule voie du salut. On peut penser que le discours officiel ici sur le concept d ’inclusivité politique postule le champ de l’équivoque, du fait de cette condition au demeurant salvatrice : faire corps au PDG pour pouvoir espérer et voir le bout du tunnel.
Le voile de Poppée, en somme, montrait et ne montrait pas. En sollicitant plus d’interrogations que des certitudes. Ainsi adopté dans les discours officiels, le langage sur la politique inclusive d’Omar Bongo pouvait être un paradoxe. En érigeant le Parti Démocratique Gabonais en site de salut au Gabon, il devient loisible de se questionner sur la volonté réelle d’inscrire tous les gabonais au projet de justice sociale, de paix, de développement économique et de stabilité politique si tant est qu’il soit possible que certains gabonais puissent émettre des opinions contraires à l’idéologie du PDG, en l’occurrence, le Progressisme Démocratique et Concerté. La certitude au temps du Grand Camarade est que hors du parti présidentiel, point de rédemption.
Quoi qu’il en soit, les réflexions de ces prédécesseurs Présidents ont amplement balisé le terrain de l’inclusivité politique. Leur héritage est manifeste : le rêve d’une Nation gabonaise sans discriminations, sans différences, sans différenciation de ses filles et de ses fils, facteurs privilégiés de la paix sociale, de la stabilité politique et du développement économique. Des héritages que les nouvelles générations, semble-t-il se sont appropriés dans leurs approches de la politique inclusive.
5. Des nouvelles approches de la politique inclusive
Le fil conducteur du projet de politique inclusive chez les nouvelles générations semble progressivement s’imprimer. L’esprit et l’essentiel de la nouvelle approche étant d’impliquer, intégrer, embraser, incorporer et associer ou coopter en réunissant tous les Gabonais autour du projet politique du leader et par leur participation directe à la vie citoyenne. Cette invite peut s’imprimer soit par l’inscription sur des gagets de campagne des concepts englobant tels que : « ensemble », « tous avec … », « notre candidat », soit par des expressions qui entérinent le dispositif participatif de tous les Gabonais.
6. Imprudences ou déni de l’approche inclusive ?
Les maladresses de communication répercutées dans les rues de la capitale gabonaise, par certaines hardiesses formulées, de type « le personnel soignant vote le médecin », « les militaires votent le militaire », malheur aux candidats, à ceux-là, qui n’ont pas de métier… Chers parents, scolarisez ainsi donc votre progéniture » ; ces hardiesses se révèlent des imprudences pour le projet inclusif, fut-il un temps de campagne. Des imprudences qui pourraient être percues comme discriminatoires envers les Gabonais sans appartenance professionnelle, sans attache avec le corps médical, avec l’armée ; et même discriminatoires envers ceux-là qui ont décroché sur le plan scolaire pour diverses raisons.
7. La politique inclusive et l’incongruité de la rupture
Il en va de même pour la notion de « rupture ». Ce terme dans le discours des candidats devrait a priori postuler la liquidation ou la disqualification des pratiques politiques malsaines d’autre fois. La notion de « rupture » établissant une sorte de césure entre un avant et un après une certaine expérience. Le vocable de rupture dans la campagne politique dans le contexte gabonais, devrait inaugurer un nouvel élan en termes de reconversion des pratiques politiques, reconversion des esprits, reconversion des mentalités, reconquête des traditions d’objectivité et de respectabilité dans la gestion des affaires publiques.
Or, le Gabon, dont la population est estimée à peine à 2 MILLIONS de citoyens, la notion de rupture dans cette société semble taboue et inviolable, parce qu’elle raisonne comme une rhétorique de la dispersion, de la dissémination, d’émiettement, de la dislocation du ciment de l’unité nationale ; le vocable de la trahison. La rupture insinuant ainsi l’indexation des coupables du mal du de la Nation, dans un pays où tous ou presque se connaissent, s’épousent, se pactisent, se contractent des liens d’amitié, s’assurent des relations d’alliances diverses, se tissent des liens d’opportunité, dans les obédiences mystico-spirituelles. Du coup, la discursivité sur la rupture avec les pratiques politiques jugées déviantes s’apparente à une rhétorique de dénonciation calomnieuse, un acte d’accusation pernicieuse. Or, dans cette République où tous semblent blâmables nul ne peut prétendre révéler au gabonais « ordinaire » pattes blanches.
Dr. Jean–Stanislas WAMBA chercheur, spécialiste des questions de littérature et post-colonialisme. Consultant des organisations en conduite d’innovations technologiques, sociales et projets.
@info241.com
